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Parfois, je lis: La France sous nos yeux

Dernière mise à jour : 22 janv.

« La France des machins », « La France de truc » : aucun doute, La France sous nos yeux, co-écrit par Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely se veut être une photographie de notre pays en 2021. Comment s’y prennent-ils ? Qu’est-ce qui marche ? Qu’est-ce qui cloche?



Je sais pas vous, mais moi, j'aime bien savoir comment va la France. Naturellement j’ai donc été tentée de lire cet essai, qui a bénéficié d’un écho médiatique assez important. La ligne directrice du livre est simple: observer la France. Les cours de danse country, la présence de piscines individuelles dans les jardins (spoiler alert, il y en a plus dans le sud que dans le nord), ou bien la guéguerre entre Lyon et Grenoble sur la véritable origine du tacos français, voilà les champs d’analyse de La France sous nos yeux pour dresser un portrait des modes de vie et des paysages français en 2021.


Pour observer la France, on a dégainé Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely (et sa mèche sur le front), respectivement analyste politique et essayiste (et coupe de cheveux moche). La quatrième de couverture nous présente un « expert » et un « spécialiste ». Alors forcément, on s'attend à un constat un peu plus frappant qu'un sondage IFOP démontrant que les jeunes consomment statistiquement plus de Macdo que les vieux. Cela étant, les chiffres donnés sont toujours assez saisissants : j’en ai retenu quelques-uns, qui vont faire mouche dans les discussions autour de la machine à café*. « Savais-tu que le nombre de psychologues en France a doublé entre 2010 et 2018 ?! »


On ne va pas se mentir, ce livre, c'est beaucoup de papier utilisé juste pour enfoncer des portes ouvertes. Grâce aux fines observations de nos spécialistes des modes de vie, vous découvrirez par exemple qu’un électeur d’EELV consomme plus de produits bio qu’un électeur du RN. Et si vous n’êtes pas tombés de vos chaises en apprenant ces révélations fracassantes, vous serez étonnés de savoir que les Toulousains ont plus tendance à parler avec un accent régional que les Parisiens !


Vis ta vie « Plaza majoritaire » dans l’affordable « France backstage »


Le plus gros bémol du livre, c’est surtout la manière dont c'est écrit : ok, les auteurs veulent s’adresser au plus grand nombre, et s’abstiennent d’utiliser des mots d’un certain jargon, trop universitaire. Sauf qu'en voulant trop simplifier une explication, on peut être amené à faire des métaphores bizarres. Ici, on n’oubliera évidemment pas la masterclass, page 438, «Jean-Jacques Goldman est le steak-frites de la musique populaire française».


JJ c'est comme un steak-frites: il est indémodable. (on l'aime quand on est bien cuits aussi)


Puisqu’il est spécialiste des modes de vie, Jean-Laurent Cassely invente des expressions "à la mode", et espère que le lecteur les ressortira comme s’il s’agissait de réels concepts. Ainsi l’essai est truffé d'expressions à la con, parmi lesquels :

  • « Plaza majoritaire » : modèle né dans les Trente Glorieuses qui veut que la référence pour les modes de vie soit une maison, avec une double-vasque dans la salle de bain.

  • « France backstage » : opposée à « la France glamour », elle intègre la périphérie des grandes villes, les anciens bassins industriels, les petites villes et globalement tous les endroits où les parisiens ne sont pas venus s’installer = chez les prolos, si l’on suit le modèle.

Vous avez aimé Elie Semoun en M. Latouche dans le film L’élève Ducobu ? vous allez adorer La France sous nos yeux et ses néologismes lourdingues du type « premiumisation », "moyennisation" ou « boboïsation ». Consternation !


Le pire est à venir : c’est ce phrasé anglais qui va vous immerger au sein d’un think tank LREM based in Issy-les-Moulineaux pendant un moment : entertainment, discounters, pickers, yankee, supply chain, fabless, shift, care… un bouquin sponsorisé par l’italique du début à la fin.


Bon, une chose est sûre : Jean-Laurent Cassely n’est ni géographe, ni sociologue. En revanche, une petite chronique dans Quotidien lui irait à merveille.


Si près et pourtant si loin


Si les auteurs s’appuient sur des faits de société précis, il n’en reste pas moins que le livre donne l’impression de survoler la société française. L'un des seuls facteurs d’étude quantifiable est la géographie électorale, dont Jérôme Fourquet est un "expert". Sauf qu’observer la France via les résultats électoraux a ses limites dans un pays où l'abstention s'est élevée à près de 67% lors des dernières élections, en 2021.


N'étant pas trop fan des méthodos quantitatives, je me suis étouffée devant leur manière de tout illustrer par des graphiques, comme si la population française n'était qu'une masse statistique anonyme. Les cartes sont pertinentes, mais les graphiques - toujours les deux mêmes modèles - sont inutiles. Ils aident juste à passer les pages plus vite.


Jérôme Fourquet en train de mettre à profit le fait de travailler à l'IFOP


Ce que je reproche à ce livre, je pourrais en fait me le reprocher aussi : les deux auteurs semblent avoir fait un tour de France en voiture, sans jamais sortir du véhicule. Le discours direct est totalement absent. On dirait que les co-auteurs se sont enfermés dans leurs bureaux parisiens pour écrire cet essai sur la France: ils n’essaient pas de comprendre les pratiques socio-culturelles des "français" mentionnés, et se retrouvent (involontairement, ou pas) à faire du mépris de classe.


Safari


Le mépris de classe. Connaissant Jean-lolo (on est copains) et ses articles dans Slate, j’ai constaté -oui, j’observe moi-aussi - que monsieur aimait beaucoup faire rentrer les gens dans des cases (mais genre littéralement, des cases de bingo). Le paroxysme du mépris de classe a été ce « bingo des villages », dans lequel JLC énumère les clichés sur les milieux ruraux. Or, je suis quasi sûre que le seul village qu’il fréquente, c’est Saint-Tropez. Sur ce point, on notera aussi que les précédentes collaborations entre Fourquet et Cassely traitaient plutôt des classes supérieures urbaines, d’où la vision réductrice des banlieues et des campagnes.


Si j’ai l’air d’avoir un problème avec ce gars-là, c’est qu’il m’énerve. Il sort de nulle part, et fait mon job de rêve, tout en étant extrêmement borriiing, parce qu’il n’inclut pas de politique dans ce qu’il écrit. Or, la vie en société, la manière de consommer, l'aménagement d'un territoire, tout est politique. Comment peut-il faire la distinction entre des groupes sociaux en fonction de leur origine géographique ou de leur CSP, sans parler de lutte des classes?


À certains moments de ma lecture, j’ai eu l’impression que les auteurs prennent de haut tous les groupes sociaux qui ont des pratiques différentes des leurs. On sent que les gars se sont retenus de nous dire que les pauvres achètent des écrans plats avec l’argent des allocs! Après, je suis susceptible à mort, donc je peux avoir interprété :)))


Finalement, le titre La France sous nos yeux ne renvoie t’il pas à la position des deux auteurs, qui, du haut de leur tour d’ivoire, scrutent d'en haut (et prennent de haut) une société qui n’est pas la leur?


En bref,


Je dirais que La France sous nos yeux est un livre qui offre une bonne vision globale de la société. Plus que cela, l’ouvrage est bourré d’exemples, de références à des ouvrages de sociologie ou directement à la littérature. Il permet de condenser ces exemples sur 500 pages, et de faire un rapide tour d’horizon de « C’est quoi la France en 2021 ? ». Peut-être le projet était-il un peu trop ambitieux?


En réalité, ce qu’il y a de vraiment problématique, c’est la volonté de rester neutre politiquement. Les tournures de phrases, sujets abordés, tout est étudié précisément pour effacer toute interprétation politique. SAUF QUE tout est politique, qu’on le veuille ou non. S'il faut qu'on interprète nous-même le bouquin, faudrait-il remarquer que les pratiques socio-culturelles ont tendance à se différencier comme elles l'étaient avant les Trente Glorieuses? Les nouvelles pratiques collectives éveillent-elles une nouvelle conscience de classe? Afficher une ligne politique, et un angle (les inégalités, pour être original...) aurait permis à La France sous nos yeux de ne pas être qu'une série d'exemples.


Bien sûr qu’un livre ne peut pas montrer la diversité des territoires. « La France de » n’existe pas, elle est multiple, s’analyse à d’autres échelles que l’échelle nationale. Le livre apporte toutefois une vue d’ensemble dont l’intérêt est compréhensible. L’utilisation du vocabulaire géologique (la sédimentation, la roche-mère) pour mettre en évidence les évolutions des modes de vie, marche bien. Voilà, rien d'autre à dire, c’est compréhensible quoi…




*Si l'Université de Lille ne fournit toujours pas de grands gobelets à la rentrée, je fais grève. Joignez vous à la Grève du café noisette!

MAJ: ils sont de retour!

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